En 2007, ce livre marqua les esprits par la justesse de son réquisitoire contre le capitalisme du désastre. Celui qui est installé par les pouvoirs d'un pays en crise, avec l'aide du FMI et des pools bancaires mondiaux, au prétexte que cette nouvelle organisation de l'économie locale facilitera le décollage économique du pays, permettra une intégration du pays à l'économie mondiale et son accès au financement international . A chaque fois, les pouvoirs publics locaux répondent à une crise économique et financière majeure de la même façon. Ils appliquent le célèbre protocole de Washington de 1989 (FMI et Banque Mondiale), visant à restaurer les pouvoirs régaliens de l'État, à privatiser les entreprises, à instaurer la libre concurrence des biens comme des services et à ouvrir le pays à la compétition internationale.
Son livre est une critique documentée de qualité de 500 pages contre l'École de Chicago et l'idéologie néo-libérale véhiculée par Milton Friedman sur les trente dernières années : Trente années à défaire et refaire le monde. L'auteur s'en prend à la revendication centrale du libéralisme extrême à savoir que le triomphe du capitalisme déréglementé est le fruit de la liberté et que la libéralisation totale des marchés et la démocratie vont de pair. Naomi Klein démontre que dans la plupart des cas, l'installation "du marché libre" dans le monde s'est écrite à grand renfort de chocs, de crises, de coups d'État, d'attentats ou de guerres. Elle n'en reste pas moins lucide sur les limites de son approche : tenir une idéologie responsable des crimes commis en son nom exige beaucoup de prudence. Le libéralisme de l'école de Chicago, en tant qu'idéologie, n'est pas la seule à vouloir faire table rase des réalités au nom des intérêts supérieurs d'une meilleure organisation : le communisme, les idéologies fondamentalistes, religieuses et raciales ont aussi offert au monde des exemples terribles. Le néo-libéralisme a un point commun avec les idéologies dangereuses : la recherche d'une société modèle corrigée de ses travers corporatistes, au prix des pires crimes contre l'humanité.
L'auteur expose ainsi de manière exhaustive les différents dérapages qu'ont connus les pays en crise ou des pays en guerre. Il démontre qu'un grand nombre de parties prenantes américaines aux réformes imposées ont tiré largement profit de cette situation à travers des sociétés implantées ou adaptées aux situations rencontrées sur le terrain. Il constate que ces ajustements massifs ont considérablement accru les inégalités au sein des populations locales et ont contribué à l'enrichissement des managers et cadres au détriment des autres classes socio professionnelles. Depuis, il relève aussi les réactions en cours au sein des classes moyennes et des nouvelles élites politiques dans leur poursuite des délits les plus odieux et les crimes caractérisés faits au nom du néo-libéralisme.
Au delà de ces outrances et de l'arrogance des néo libéraux, nul doute que la crise actuelle nous aidera à dépasser ce système. Rappelons nous la célèbre phrase de George w Bush qu'il fit inscrire dans son document de stratégie nationale en 2011: "Les grandes luttes qui ont opposé liberté et totalitarisme au 20e siècle se sont soldées par une victoire sans équivoque des forces de la liberté, un seul modèle assure la réussite nationale: la liberté, la démocratie et la libre entreprise". Ainsi, face à ce type de capitalisme tel qu'il fut imposé, il reste l'espoir de voir émerger un modèle plus connu et usité qui pourrait rassembler le plus grand nombre et faciliter l'émergence d'un monde plus supportable, qui fasse une plus grande place à la régulation publique et aux réglementations "stabilisantes".
Naomi Klein rejoint les intellectuels attachés à l'économie mixte où le meilleur du capitalisme se combine avec le fonctionnement de services publics et la régulation des marchés, qui en corrige les excès. Nous la remercions d'avoir amassé patiemment et d'avoir synthétisé si bien les dérives d'une idéologie qui se targuait de libérer les hommes de la servitude au départ.
Jean-Christophe Cotta
Naomi Klein, la stratégie du choc, Actes Sud
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