Homme de réflexion, de décision, et d'actions, Jacques Rueff n'a jamais démérité de la République. Haut fonctionnaire, il a participé à trois des plus importants programmes de stabilisation et de modernisation de la France, écouté et entendu par des hommes politiques de renom comme Raymond Poincaré en 26, Paul Reynaud en 38 et Charles de Gaulle en 58. Il a su par ailleurs transmettre ses convictions libérales à travers ses écrits et conférences au sein de l'Université mais aussi d'un large réseau d'intellectuels et de penseurs du 20e siècle.
Exhumer la pensée de Jacques Rueff peut apparaitre comme une gageure, mais cette dernière marque aussi par son actualité, 60 ans après le dispositif des années 58 préparant l'entrée de la France au sein de la communauté économique européenne et instituant un code de bonne conduite libéral visant à rétablir les finances publiques et les équilibres financiers internationaux du pays (balance des transactions courantes, balance des capitaux long et court terme, position monétaire externe du pays). Au delà, comme l'indique Wolfgang Schlauble, ministre allemand des finances, "les idées de Jacques Rueff en matière de politique économique concordent avec les principes d'une économie sociale de marché, tel que Ludwig Ehard et ses partisans l'ont définie après la guerre, en Allemagne." Enfin, ses convictions européennes passaient par la création d'une monnaie commune : "L'Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas". qui raisonne en contre champ avec la phrase méconnue de Monnet (mais de circonstances) : " l'Europe se fera dans les crises, elle sera la somme des solutions apportées par ces crises."
A la base de sa formation d'économiste, Jacques Rueff approfondit l'oeuvre de Léon Walras, ses trois livres, portant sur l'économie pure (1874), sur l'économie sociale (1896) et sur l'économie appliquée (1898). D'un coté, l'aspect scientifique et mathématique, qui institue l'existence d'un équilibre général entre les facteurs de production, la production et la consommation, menant à la distribution de la rémunération des facteurs (qui sera démontré par Debreu dans les années 50); il subit par ailleurs l'influence de Clément Colson, enseignant à Polytechnique, concernant la place du mécanisme des prix et l'équilibre entre l'offre et les besoins de la population. "Le déséquilibre économique, c'est l'inégalité permanente entre les défis des hommes et les moyens de les satisfaire. La laisser subsister, c'est vouloir provoquer la demande qu'aucune offre ne pourra assouvir entretenir une offre que jamais aucune demande n'absorbera. Mais ainsi le déséquilibre économique, c'est l'attente désespérée de ceux qui veulent trouver du travail et n'en trouveront pas ou l'effort inutile de ceux qui ont produit un bien ou un service et ne trouveront jamais d'acheteurs. Comment éviter de telles situations? en se montrant fermement hostile à toute politique tendant à immobiliser les prix ou à en ralentir les mouvements".
Quels événements lui ont permis de s'imposer comme libéral français ? Jacques Rueff fera l'expérience au sein de l'administration française, en France et à l'étranger, de tous les événements liés aux remboursements de la dette de guerre, aux paiements des crédits interalliés, et enfin à la crise de 1929. Il sera à partir de là l'observateur engagé et critique des crises des années 20-40. Les errements du remboursement de la dette allemande, dans les années 20, au sein de la SDN, la stabilisation du France de Poincaré, en 1928. Il peaufinera surtout à ce propos un argumentaire de qualité contre Keynes et ses travaux. A son menu, l'efficacité relative de son fine tuning, car il ne porte que sur le court terme. Puisque Keynes et les keynésiens utilisent la dépense publique, et l'endettement public afin de soutenir, stabiliser et relancer l'activité économique à court terme. Pour lui, seul le mécanisme des prix est capable d'indiquer les choix de redéploiement de l'activité et partant celui des facteurs de production à long terme qui aboutit à modifier les équilibres sur chaque marché durablement, qu'il s'agisse de l'emploi, de l'investissement et de la production. Si l'on suit l'auteur cela passe par l'arrêt de la subvention de nombreux prix, et au final, dans l'économie bloquée, une baisse sensible du pouvoir d'achat des salariés et l'acceptation des ajustements douloureux, à commencer par la hausse du chômage. Afin de faire émerger la nouvelle économie et rétablir la compétitivité de l'économie française.
On connait surtout Rueff pour la place qu'il occupa pour assurer la modernisation de l'économie française, l'entrée de la France au sein de la CEE et aussi le rétablissement de la convertibilité du Franc au début de la cinquième République. Rien de nouveau Coté Cour. Mais, surtout, coté jardin, Gérard Minart nous explique les blocages humains : l'opposition de Pinay ou celle du gouverneur de la Banque de France, qui a ralenti et infléchit les mesures prévues. Et aussi, la forte prévention de l'administration française dans son ensemble concernant la mise en place d'une économie de marché, là ou prévalait la planification et le centralisme. A Lire très précisément.
Ce qui fait l'actualité de son oeuvre est en effet là. les difficultés actuelles sont, dans nos déficits publics et nos déficits externes. Et aussi dans l'aggravation de notre endettement qui provient de l'absence de réformes structurelles permettant les mutations de notre économie et l'émergence plus rapide des nouveaux domaines de spécialisation de l'économie française. Une grande partie de la réforme passe par l'application de nouvelles lois ou ordonnances et le retour de l'esprit d'entreprise en France. Toute réforme exige surtout d'être mis en musique par une administration bienveillante à l'égard de cette nouvelle forme de libéralisme régulé. Une urgence pour les experts, mais forcément pour les électeurs. Nous sommes en recherche de responsables politiques ayant une vision et qui sont capables d'appliquer dans la durée une politique de redéploiement volontaire.
Jean-Christophe Cotta
Allocation & Sélection
Les commentaires récents