Sixième édition de ce livre, mise à jour et augmentée. Les auteurs nous livrent une excellente analyse complète et documentée des rouages de la finance depuis les années 80 face aux mutations de l'économie mondiale ainsi que de celle des crises financières et de leurs régulations financières. Les auteurs nous livrent ainsi un manuel nous permettant de mieux comprendre et appréhender le cycle financier mondial et ses interdépendances avec le financement de l'économie réelle en mutation rapide.
La première partie dédiée à la finance, à la croissance et aux cycles resitue clairement d'une part, la place de ces acteurs traditionnels : les entreprises, les banques, les ménages, les investisseurs de long terme et les marchés financiers et d'autre part, leurs comportements face au risque du court terme issu des grandes transitions que nos sociétés doivent assumées dans une situation d'incertitude à long terme. Et pour les citer : "La finance est le siège de processus autonomes du fait de la gestion des incertitudes dans l’évaluation du capital et dans le contrôle de l’endettement. Les ménages ont accru le poids de leur patrimoine financier ; les investisseurs financiers ont acquis une importance grandissante ; les banques se sont adaptées au déclin relatif de leurs activités de distribution de prêts traditionnels".
Ces changements structurels ont agi sur les conditions de la croissance : La croissance externe des entreprises par fusions et acquisitions, afin d'intégrer plus rapidement les nouvelles technologies et répondre plus efficacement à la concurrence mondiale) ; Le recentrage de la gouvernance des entreprises sur la création de valeur avec un objectif de rendement élevé ; Le déplacement des budgets de la recherche développement des grandes entreprises vers les entreprises nouvelles.
Les conséquences macro de ces transformations conduisent à un régime de croissance dont les fluctuations cycliques sont fortement influencées par l’interaction entre la valorisation des actifs et le crédit (le cycle des nouveaux produits étant souvent plus court, plus couteux et plus hasardeux). De fait l’exposition au risque provoque une instabilité par la volatilité de l’investissement, la versatilité de la confiance des ménages, et les réaménagements des patrimoines guidés par le souci de la liquidité. Le cadre est ainsi bien posé.
La seconde partie est dédiée à l'analyse des crises financières et aux régulations monétaires depuis les années 80. "Contraste dans les années 90 entre le capitalisme américain et les problèmes rencontrés par le reste du monde. A la base dans les années 80, les États-Unis connaissent les crises bancaires à répétition, un krach boursier (1987) et finalement la crise immobilière au tournant de la décennie (crise des Savings and Loans). Puis, le rebond de la croissance américaine contraste avec les soucis de croissance en Europe et des pays émergents à partir des années 90 jusque dans les années 2008." L’enjeu de la macroéconomie financière est alors de jeter un pont entre un présent marqué par l’aversion au risque et par la stagnation de l'activité et un futur construit sur les nouveaux enjeux individuels et collectifs à plus long terme : comme le vieillissement de la population et la transition énergétique. Deux types d’acteurs vont jouer un rôle majeur : les banques publiques de développement et les investisseurs de long terme. Dans cette logique les banques publiques d’investissement et développement sont au centre des projets de grande taille et longue maturité qui engendrent des externalités positives et éliminent les externalités négatives. Les investisseurs long terme peuvent aider à réconcilier ces horizons : collecteurs d’épargne contractuelle, aux passifs longs et stratégies d’allocation fondées sur la prise de risque en compte de choix politiques à long terme.
J'adhère à l'explication d'autonomie de la sphère financière depuis les années 80 et à l'émergence d'un cycle financier qui permet un niveau de croissance réelle plus fort associé à une progression conséquente de l'endettement des acteurs publics et privés du fait de l'élargissent de l'économie mondiale. Intuitivement, la mise en place dans les années 90 de l'économie mondiale, la globalisation financière adoptée rapidement imposent un niveau de liquidité internationale plus important et plus incertain, afin de permettre l'émergence de nouveaux pôles de consommation et d'investissement, dans les zones moins développées et assurer les transitions économiques et sociales des pays industrialisés.
Tout ce mouvement s'accompagne d'une plus forte volatilité au sein des marchés, d'une contagion autour du monde plus rapide, plus conséquente et souvent aussi plus irrationnelle. En cela, le rôle de prêteur en dernier ressort a fortement évolué ainsi d'ailleurs que la place de la politique monétaire dans le dispositif de stabilisation conjoncturelle.
Les auteurs ont une bonne analyse de l'évolution du rôle de prêteur en dernier ressort en cas de crise. Des trois fonctions, bien connues tenant à la préservation du système de paiement, au rétablissement de la confiance des investisseurs, et à l’apport de liquidité sur les marchés du crédit, ils élargissent désormais, la crise de 2008 aidant, à la gestion du marché monétaire (défiance des banques les unes vis à vis des autres), et au sauvetage des banques et autres institutions financières. A cela ils ajoutent bien évidemment le dispositif mis en place au sein de l'union européenne à partir de 2011 afin d'éviter la dislocation de la zone euro lors des soucis d'endettement de la Grèce, du Portugal et de l'Irlande. La régulation des banques, des marchés et des intermédiaires financiers non banques et assurances (shadow-banking) en priorité visent à éviter de nouveaux drames... En cela la détermination des entités quelques soit leur nature mais surtout les types de transaction à risque qui constitueraient un risque systémique se sont imposés parmi nos régulateurs (fonds d'investissement, fonds monétaires,…, organismes de prêt de titres). Il reste toutefois pour eux à mieux cerner les relations entre les grandes banques et les organismes constitutifs du Shadow Banking, et en particulier les garanties implicites que les premières accordent aux secondes. Et surtout à rester vigilant face aux mutations en cours.
C'est sans doute la politique monétaire qui a subi les plus grandes évolutions, dans le maniement des instruments conventionnels mais également dans celui des instruments "hors cadre", dits non conventionnels, essentiellement depuis 2008. En cela, les doctrines monétaristes appliquées par les banques centrales afin de réguler la liquidité nécessaire au sein des marchés financiers ont été dépassées. Avec pragmatisme et professionnalisme, les banques centrales ont su répondre immédiatement à l'urgence de la panique financière par des mesures quantitatives de taille non conventionnelles qui ont réussi à stabiliser les anticipations des investisseurs. L'essentiel du dispositif d'actions consistaient à évaluer le taux naturel à partir des gains de productivité et du potentiel d'emploi et de s'assurer que le taux de marché ne s'écarte pas trop de son niveau (règle de Taylor); plus haut, il décourageait les décideurs d'investisseurs et trop bas , il déclenchait des surinvestissements. A cela s'ajoute du fait de la crise de 2008, une politique monétaire plus expansionniste afin de conforter la stabilité des marchés financiers (politique macro-prudentielle) plutôt que le niveau d'inflation ou de l'activité économique, associée à une nouvelle communication de la banque centrale en direction des décideurs (forward guidance). Au prix d’un accroissement de leurs bilans.
Enfin, résultante de tout ce processus, leur réflexion sur les conditions de l'efficacité du système monétaire international : alimenter en liquidité suffisante mais édicter les droits et devoirs des acteurs économiques et financiers afin de ne pas faire jouer le hasard moral. L'histoire des quarante dernières années nous indiquent les difficultés nées de la prédominance du dollar en tant que monnaie de réserve et les crises financières qui s'en sont suivies; en particulier, lorsqu'il s'est agi de faire financer par les autres pays industrialisés, la facture des dépenses d'investissement américaines dans le monde ou le cout de la désinflation en 79... et aussi lorsque il s’est agi de venir en aide aux pays émergents qui avaient calé la valeur de leur devise sur lui... (94,97,et au-delà). Il va sans dire qu'avec la nouvelle configuration de l'économie mondiale, un certain nombre d'évolutions seraient nécessaires et salutaires pour accompagner les changements sectoriels et géographiques de l’économie mondiale : disposer d'une unité d compte, qui ne soit la dette d'aucun pays ; construire des règles de rééquilibrage des balances courantes, et qu'il existe un preneur en dernier ressort international. Tout un programme! Mais un point de passage obligé.
En conclusion, en guise de synthèse, une fois écrit tout cela, les auteurs souhaitent une organisation internationale monétaire et financière puissante et autonome (qu'aucun état n'a véritablement installé à ce jour depuis les débats Keynes-White de 1943) ; je les suivrais bien dans cette aventure… On sent poindre aussi un thème diffus, mais bien présent concernant la responsabilité majeure des États-Unis depuis les années 80 dans les crises bancaires, financières et immobilières (chères aux premiers ouvrages de Michel Aglietta) de plus en plus couteuse (87,98, 2000,2008) qui ont impacté largement à la baisse les conjonctures économiques et financières des autres pays industrialisés et surtout les pays émergents. Gageons que les auteurs n'aient pas voulu une critique centrale du livre trop voyante. Je pense qu'ils se sont dit que cela nuirait au travail de fond effectué et à leur clarification des phénomènes économiques, financiers et monétaires. Il y a sans doute aussi la volonté de considérer l'avenir en formation rapide, plutôt que le passé même proche et de proposer des solutions permettant de lisser les ajustements en cours avec l'émergence de l'Asie et de l'Europe pour les prochaines décennies dans cet environnement que l’on sent « disruptif ». A moins que chacune des zones ne préfèrent adopter un système de compensation propre et de faire émerger dans la durée en Europe comme en Asie de nouvelles monnaies de réserves plus solides et légitimes. A suivre
Jean-Christophe Cotta
Allocation et Sélection
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